Le « Code Noir » suédois de Saint-Barthélemy

DOCUMENT

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Retranscription du « Code Noir » suédois de Saint-Barthélemy

Le « Code Noir » suédois de Saint-Barthélemy

Le « Code Noir » suédois re-découvert

Cela faisait un petit bout de temps déjà que le Comité de Liaison et d’Application des Sources Historiques était à la recherche de l’original français de l’Ordonnance de Police du dénommé von Rosenstein appliquée à partir de 1787 dans l’île antillaise, alors suédoise, de Saint-Barthélemy. Censée se trouver à Stockholm aux Archives Nationales de Suède, dans le S:t Barthélemysamlingen tout premier carton SBS 1A au n° 18: Vice kommendanten Rosensteins ordonnance de police, elle restait introuvable sur la bobine de microfilm correspondante; depuis 2004 les originaux ont été microfilmés et ne sont désormais consultables que sur ce support. Ayant diligenté une inspection du dit carton, les Archives Nationales de Suède ont laconiquement été au regret d’informer que la dite ordonnance avait corps et âme bel et bien disparu: we regretfully have to admit that it seems to have been mislaid at some point [nous avons le regret d'admettre qu'elle semble avoir été égarée à un moment donné]. Le C.L.A.S.H. a alors aussitôt tenté de rentrer en contact avec les quelques chercheurs qui avaient, à un moment ou à un autre, consulté le dit document et en avaient fait écho dans leurs publications respectives; au cas où ils en auraient fait une transcription, encore conservée dans leurs notes de travail...

Le «slave code» von Rosenstein, ainsi baptisé et étudié en 1995 par mesdames Lavoie, Fick et Mayer dans «A particular study of slavery on a Caribbean Island: Saint-Barthelemy (French West Indies), 1648-1846» (Caribbean Studies, San Juan / Porto Rico,

vol. 28, no 20, p. 369-403) est surtout connu de par sa version anglaise qui a depuis été intégralement et fidèlement retranscrite en ligne et dont une traduction française a été initiée en collaboration avec M. Jacques Leclerc; cette version du «Code Noir» suédois est datée du 30 juillet 1787. Elle avait été retranscrite en 1804 et 1805 dans l’"hebdomadaire" de Gustavia The Report of St Barttholomew par son éditeur Anders Bergstedt et ce à partir d’un registre d’ordonnance qui se trouve actuellement conservé aux Archives Départementales de la Guadeloupe sous la côte 4 E dépôt 1. Mais la toute première version de cette ordonnance avait été rédigée en français un mois plus tôt, signée le 30 Juin 1787. Seuls deux chercheurs qui avaient eu entre leurs mains ce document en français, en avaient précisément fait référence : le journaliste suédois Goran Skytte tout d’abord, qui en 1986 publiait Det kungliga svenska slaveriet [L’esclavage de la Couronne de Suède] (Stockholm, Askelin & Hägglund); et le médecin et anthropologue français Jean Benoist d’autre part, qui plus récemment est l’auteur d’un texte intitulé «L'esclavage au delà du sucre: couleur et société à St-Barthélemy» paru en 2006 dans «Le Monde créole: peuplement, société et condition humaine XVIIe - XXe siècles », (Paris, J. Weber Éditeur, Les Indes savantes).

Une petite erreur de jeunesse explique largement que ce document au combien précieux soit resté pendant près de 25 ans chez un particulier qui l’avait emprunté au centre Marieberg des Riksarkivet (Archives Nationales de Suède); si il est aussi compliqué à un suécophone de tirer toute l’essence d’un texte français qu’à un francophone d’en faire de même d’un texte suédois, la faute est pardonable; d’autant qu’elle fut vite avouée et aussitôt réparée: le « Code Noir » suédois a retrouvé son carton en juillet 2008...

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Un « Code Noir » suédois bien français tiré du
« Code de la Martinique »

Le vice commandant «de Rosenstein», présenta son ordonnance en date du 30 juin 1787, dans son rapport du «6 Juli 1787» à son « Stormägtigste Aller Nådigste Konung» [Tout-Puissant Plus Gracieux Roi (Gustave III)], comme «undantagande några få ändringar tagen utur Code de la Martinique» ... [hormis quelques petites modifications/adaptations, tirée du Code de la Martinique].
Le Code de la Martinique est couramment présenté comme étant la plus ancienne impression connue qui ait été faite dans cette île. Il s’agit d’un recueil de lois édité par un certain Jacques Petit de Viévigne, paru en 1767 de l’Imprimerie de Pierre Richard à Saint-Pierre (avec un premier supplément publié en 1772 et un second en 1786). C’est un document extrêmement rare puisque même les Archives Départementales de la Martinique n’en possèdent pas d’exemplaire, et pour cause : une recherche google sur le titre révêle qu’il s’échange aujourd’hui pour le prix modique de... 60.000 euros ! Fort heureusement, la Bibliothèque Nationale de France propose l’ouvrage en ligne via sa bibliothèque numérique Gallica (le premier supplément de 1772 vient à son tour tout juste d’être mis en ligne et le second supplément de 1786 devrait suivre...). « Cet ouvrage a été conçu et rédigé suivant un plan méthodique, de manière à servir à l'administrateur et au juge »

(Dampierre), il est divisé en huit parties (Administration générale, Église, Militaire, Finances, Commerce, Marine, Justice, Police)... Il avait été émis, dans un premier temps, que c’était dans cette huitième et dernière partie contenant les lois concernant la Police que le vice-commandant de 24 ans, Pehr Herman Aurivillius Rosén von Rosenstein, avait puisé l’essentiel de la matière qui allait servir à la rédaction de son ordonnance; en considérant qu’il s’était peut-être procuré ce recueil directement en Martinique dès 1785 lorsque la frégate suédoise Sprengtporten y fit escale avant de rejoindre l’île de Saint-Barthélemy, via la Guadeloupe et Saint-Eustache, pour en prendre officiellement possession au nom de la Couronne de Suède le 6 mars 1785; officiellement, car précédée de quelques mois par le navire marchand Enigheten avec à son bord «ces messieurs du commerce» suédois. Une analyse qui pour mémoire, et pour l’intérêt des extraits du Code de la Martinique compilés, restera en ligne sur le site potomitan.
Le premier Supplément au Code de la Martinique (1772) n’ayant pas permis de lever le voile sur les quelques articles quelque peu "énigmatiques" du « Code noir » suédois, tout portait alors à croire que la réponse pouvait se trouver dans le Second Supplément au Code de la Martinique, publié en 1786, soit la même année que l’ordonnance suédoise...

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Le « Code Noir » suédois de Von Rosenstein rédigé à partir d'une unique ordonnance

C’est en fait une unique ordonnance qui a servie à von Rosenstein : l’Ordonnance du Gouvernement, concernant la Police générale des Nègres & Gens de couleur libres, donnée au Fort-Royal-Martinique, le 25 Décembre 1783, signée Damas & Viévigne, enregistrée au conseil souverain de la Martinique le 4 mars 1784...
Une ordonnance en 66 articles, dont l’existence est ainsi justifiée : Le retour de la paix [Repère chronologique : guerre dite " d'Indépendance Américaine " (1776-1783)] devant rendre au commerce & à l’agriculture, l’activité dont les avoient privé les déſordres inſéparables de la guerre, nous devons nous occuper ſans retard du rétabliſſement des reſſorts deſtinés à les faire mouvoir : un des principaux, ſans contredit, eſt la diſcipline des noirs, qui a éprouvé un relâchement auquel il eſt temps de mettre

ordre. (...) nous avons cru devoir réunir dans un ſeul & même réglement tout ce qui eſt émané du gouvernement ſur cette matiere; expliquer, étendre ou ajouter, ſuivant que le beſoin l’a exigé, aux diſpoſitions du code noir, & des ordonnances ſubſéquemment rendues par le roi & par nos prédéceſſeurs, auxquelles le temps & l’agrandiſſement des établiſſemens ont apporté des changements néceſſaires. (...)
La seule "innovation" apportée par le vice commandant suédois tiendrait à l’article 3 : « Tout hommes ou femmes de couleur libre qui bat un Blanc ſera puni Corporellement, suivant les circonstances. » qui ne se retrouverait pas alors explicitement dans la législation française bien que déjà présente, par exemple, dans les législations espagnoles ou anglaises.
Le "nouveau" colonisateur ne va rien inventer sinon pérenniser un système déjà bien en place dans les îles d’Amérique. Blanc beau nez et beau né blanc.  (NB :" ſ " ou " s long " = "s")

Bibliographie (esclavage & Saint-Barthélemy)

  • 2008. [Fr] COMITÉ DE LIAISON ET D'APPLICATION DES SOURCES HISTORIQUES. Le « Code Noir » suédois de Saint-Barthélemy, Île de Nantes.
  • 2007. [Fr] DIRECTION DES ARCHIVES DE FRANCE. Guide des sources de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions, Paris, La Documentation française, sous la direction de Claire Sibille, voir p. 107, 111, 122, 265, 270 et 272.
  • 2006. [Fr] BENOIST, Jean. « L'esclavage au delà du sucre : couleur et société à St-Barthélemy » dans Le Monde créole : peuplement, société et condition humaine XVIIe - XXe siècles, Paris, J. Weber Éditeur, Les Indes savantes. Édition en ligne.
  • 1995. [En] FICK, Carolyn E., Yolande LAVOIE et Francine M. MAYER. « A particular study of slavery on a Caribbean Island: Saint-Barthelemy (French West Indies), 1648-1846 [Une étude détaillée de l'esclavage dans une île Caraïbe : Saint-Barthélemy (Antilles Françaises)] » dans Caribbean Studies, San Juan (Porto Rico), vol. 28, no 20, p. 369-403.
  • 1993. [En] MAYER, Francine M. et Carolyn E. FICK. « Before and After Emancipation : Slaves and Free Colored of Saint Barthelemy (French West Indies), in the 19th Century [Avant et après l'Emancipation : esclaves et libres de couleur de Saint-Barthélemy (Antilles françaises), au XIXe siècle] » dans Scandinavian Journal of History, Jyväskylä (Finlande), vol. 18, no 4, p. 251-274.
  • 1992. [En] MAYER, Francine M. et Carolyn E. FICK. « Slavery, Slave Emancipation and Social Reorganization in Nineteenth-Century Saint-Barthélemy, French West Indies [Esclavage, émancipation et réorganisation sociale au XIXe siècle à Saint-Barthélemy, Antilles françaises] » dans Le Peuplement des Amériques, Veracruz, Actes du congrès de l'Union internationale pour l'étude scientifique de la population (UIESP), vol. 1, p. 233-259.
  • 1986. [Sv] SKYTTE, Göran. Det kungliga svenska slaveriet [L'esclavage de la Couronne de Suède], Stockholm, Askelin & Hägglund.
  • 1983. [Fr] NAULT, François. Ménages et esclavage à Saint-Barthélemy, 1840-1854, communication dans le cadre du Congrès des Sociétés savantes du Canada, Vancouver, 47 p.
  • 1979. [En] CAVE, Roderick. « Four Slave Songs from St. Bartholomew [Quatre chansons d'esclave de Saint-Barthélemy] » dans Caribbean Quaterly, Kingston (Jamaica), vol. 25, nos 1 & 2, University of the West Indies Press, p. 85-90.
  • 1978. [Fr] HOUDAILLE, Jacques. « Les esclaves de l'île suédoise de Saint-Barthélemy au XIXe siècle » dans Population, Paris, vol. 33, no 2, Institut national d'études démographiques, p. 467-469.
  • 1977. [En] HYRENIUS, Hannes. « Royal Swedish Slaves [Esclaves de la Couronne suédoise] » dans Demographic Research Institute, Gothenborg, University of Gothenborg (Suède), Report 15.
  • 1975. [Sv] SJÖGREN, Bengt. « Gustav III och "negerslaveriet" [Gustave III et "l'esclavage des nègres"] » dans Recip Reflex, Stockholm, no 8, p. 40-43.
  • 1975. [Sv] ÅBERG, Bertil. « Det svenska negerslaveriet 1784-1847 [L'esclavage des nègres par la Suède, 1784-1847] » dans Recip Reflex, Stockholm, no 5, p. 25-35.
  • 1843. [Fr] ANONYME. « N°23. Traite des Noirs. - Esclavage - Émancipation. - Revue de novembre 1843. § III. Amélioration de la condition des esclaves dans l'île suédoise de Saint-Barthélemy » dans Annales maritimes et coloniales. Revue Coloniale, Paris, 28e année - 3e série - Partie non officielle - tome III, Imprimerie Royale, p. 692-695.
  • 1843. [Fr] ANONYME. « N°19. Esclavage. - Traite des Noirs. - Émancipation. - Revue d'octobre 1843. II. Îles suédoises de Saint-Barthélemy » dans Annales maritimes et coloniales. Revue Coloniale, Paris, 28e année - 3e série - Partie non officielle - tome III, Imprimerie Royale, p. 540-543.
  • 1840. [Sv] ALEXANDER, George William. Några ord om slafhandeln och slaveriet, tillegnade svenska folket [Quelques mots sur la traite des esclaves et l'esclavage, à l'attention des Suédois], Stockholm, L.J. Hjerta.

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