Mémoire concernant les perfectionnemens que comporte le port de gustavia dans l'isle de Saint-Barthélemy.

considérations Générales.

la colonie de St. Barthélemy fut longtems négligée par rapport à la stérilité de son sol; privée de sources et de rivières, et rarement arrosée par les eaux du ciel, elle n'offrit à ses premiers habitans qu'un asyle pauvre ou l'homme ne possédait pour tout bien qu'une liberté indéfinie, des moeurs simples et hospitalières; la peche et la culture du coton, occuperoit exclusivement cette peuplade faible et misérable, qui pendant longtems ne reçut aucun accroissement sensible; elle retiroit alors aucun avantage de son port.
aujourdhuy ce port spacieux et commode est fréquenté par un grand nombre de batimens de commerce qui viennent y déposer les plus riches productions des deux continens; c'est un entrepôt de denrées et de marchandises, un foyer de spéculations.
cet établissement dont le developpement ou plutôt la création, a été l'ouvrage de quelques années, attire dans son sein des capitalistes, étend ses relations commerciales; et s'empresse d'offrir aux étrangers toutes les ressources qui constituent la splendeur du commerce maritime et toutes les commodités que le navigateur aime à rencontrer au dela des mers aprés un long voyage.

la colonie de Saint barthélemy, gouvernée par une administration peu nombreuse, d'après les principes d'une sévère économie, voit augmenter chaque jour la masse de ses richesses, et devient de plus en plus intéressante pour la métropole; placée au centre des antilles méridionales, elle peut fonder à la fois sa prospérité sur les chances heureuses qu'offre la situation politique de l'europe, sur la restriction que chaque nation apporte pour ses propres intérets dans les transactions commerciales; sur les conventions arbitraires du monopole colonial, et principalement sur la bonté de son port, la facilité des expéditions maritimes, la modération du droit fiscal, en un mot sur toutes les prérogatives qui peuvent appeller de loin les navigateurs et fixer leur préférence.
en perfectionnant le port de gustavia la Suède y fera couler une source intarissable de richesses, elle lui assurera des avantages immuables comme les lois de la nature.
la métropole ne doit rien négliger pour réaliser cette importante entreprise; elle doit en faire l'objet de sa sollicitude, et elle trouvera dans l'accoissement de son commerce un ample dédommagement des avances qu'elle aura faites.

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état actuel et inconvéniens du port de gustavia.

en examinant l'ensemble du port de gustavia, on seroit tenté de croire que la nature n'a fait qu'indiquer à l'homme dans une ébauche imparfaite ce qu'il étoit appellé à perfectionner; elle s'est contentée de jeter les bornes de l'établissement.
la rade est accessible à tous les batimens de commerce, aux corvettes et aux frégates du roi; la tenue y est excellente, le fond généralement sablonneux et uni et l'appareillage facile.
cinq islets ou rochers d'une faible étendue, disposés suivant une ligne droite servent de limite au mouillage et rompent en partie la violence des lames; ces ilets comprennent entre eux différentes passes qui permettent aux batimens d'entrer et de sortir dans tous les tems.
le port proprement dit, se trouve formé par une langue de terre qui se dirige parallèlement à la côte sur une étendue d'environ trois cent toises et dont les extrémités sont couronnées par des mornes armés de quelques pièces de canon; il s'ouvre aux vents de nord ouest et reçoit en plein des vagues quand la mer est agitée dans cette direction.
à droite de l'entrée du port se trouve la batterie principale; ordinairement occupée par la garnison; une côte raide et élevée de 3 ou 400 pieds circonscrit le port et semble l'isoler du reste de la colonie.
la ville de gustavia peuplée de 5 à 6 mille habitans est bâtie autour du port et lui sert d'enceinte, elle n'offre encore qu'une partie des agrémens qui peuvent naitre d'une disposition régulière et d'un ensemble calculé.
le port est abrité contre les vents de terre par la côte; la rade au contraire peut être agitée par tous les vents qui soufflent depuis le nord ouest jusqu'au sud sud est; elle est souvent le théatre des plus déplorables destructions.
un de ces ouragans qui portent la terreur et la désolation dans les antilles, est à peine pressenti par des indications locales, ou par quelques phénomènes altmosphériques, que chaque capitaine obligé de pourvoir par lui même à la sureté de son navire exécute les mouvemens que lui suggère sa propre expérience; les uns appareillent et gagnent le large; d'autres se jettent confusément dans le port, enfin quelques uns restent au mouillage; le vent souffle avec fureur et bientôt la mer s'amoncèle dans la rade et porte jusque dans le port ses terribles oscillations; le marin ne maitrisant qu'avec peine dans cet espace resserré son navire que les vagues entrainent, l'abandonne au caprice de la mer et ne songe désormais qu'à sa conservation; les batimens se groupent, se heurtent, se brisent et sont enfin submergés avec les marchandises précieuses qu'ils contiennent, ainsi périssent en un instant ces instruments du commerce maritime, l'espoir des spéculations continentales, ainsi les fortunes particulières et les plus riches productions de l'industrie humaine sont dévorées par la mer.
deux de ces malheureuses scènes se sont succédé, cette année, dans l'espace de 15 jours, et ont causé des dommages incalculables; la côte a été jonchée de débris et le port encombré de batimens naufragés.
ces funestes catastrophes, sont le résultat de la disposition vicieuse du port et de l'impossibilité d'amarrer promptement et solidement dans l'instant qui précède le raz de marée les batimens de mer.
ainsi le perfectionnement le plus utile, le plus précieux pour le port de gustavia, celui qui peut ajouter le plus d'éclat à sa situation déjà florissante, est celui qui aura pour objet de garantir ce port de la violence des vagues et de mettre les batimens de mer à l'abri de tous les dangers.
cet important problème offre deux solutions, toutes deux également praticables, d'un succés également certain; l'une consiste à abriter la rade, l'autre à fermer le port; la première exige des avances considérables que la métropole peut seule supporter; la seconde trouve sa mesure dans les ressources de la colonie.
une rade vaste, bien défendue contre la mer, d'un accés facile, d'un mouillage commode offrirait sans contredit de grands avantages; mais, ne suffit il pas à la colonie de donner assez d'extension à son port pour que 2 à 300 batimens de commerce puissent y trouver asyle ? et ne pourroit on pas considérer un projet plus étendu comme une superfluité ou au moins comme une faculté qui n'est point indispensable; j'ajouterai à l'appui de cette assertion qu'il est rare de voir plus de 150 à 200 batimens de commerce dans les rades qui servent de marchés aux établissemens les plus florissants des antilles, si l'on joint à cette considération que la dépense seroit incomparablement plus grande dans le premier projet que dans le second, ainsi qu'on peut s'en

convaincre par l'exposé des détails estimatifs qui font partie de ce mémoire, on pourra avancer avec assurance qu'il n'y a point à balancer entre ces deux projets et que la colonie doit se déterminer en faveur de celui qui offre la moindre dépense sans gêner son commerce.
le plan ci-joint fait connoitre l'étendue et la direction de la jettée qui doit couvrir le port; l'entrée, dont l'axe est à peuprès perpendiculaire à la direction du vent règnant, se trouve naturellement balisée par le morne gustave adolphe; elle regarde vers la pleine mer, et reçoit les flots du large considérablement affaiblis par les islettes qui forment une contre digue; par cette heureuse disposition, les batimens pourront entrer de tout tems et sans crainte dans le port, et sortir avec la même sécurité.
le relevement des sondes fait connaitre que les brics de guerre et même les frégates, trouveront dans l'intérieur du port, un excellent mouillage.
on pourroit peut être appréhender qu'à la longue, l'ouverture du port ne fut ensablée; mais ces craintes doivent se dissiper entiérement, si l'on réfléchit que le morne gustave adolphe a pour base une roche vive dont les bords ne portent aucune empreinte d'alluvions et que la mer n'offre sur la côte ni courant sensible ni déplacement.
mais quelle sera la nature de l'ouvrage hydraulique projetté de la digue à construire ? sera-t-elle exécutée en maçonnerie ? sera-t-elle composée de carcasses comblées de pierrailles ou de beton (mortier de pozzolane) ? ou bien se contentera-t-on d'installer confusément des blocs de pierre dans la direction qui lui est assignée ? je vais discuter ces divers moyens d'exécution.
les digues en maçonnerie sont sans contredit, les plus solides, les plus durables, et les moins volumineuses, les ruines des fameux ports d'ostie, d'antium et de trajan, démentent la presque indestructibilité de ces masses artificielles; mais leur construction exige la réunion d'un grand nombre de circonstances qui ne peuvent être réalisées qu'au sein d'une population nombreuse et essentiellement ouvriére; une immense quantité de matériaux façonnés à l'avance, un grand nombre de bras intelligens pour les mettre en oeuvre dans le plus court espace de tems possible, d'immenses batardeaux, des appareils, des ustensiles de différentes formes, une surveillance active et par dessus tout des dépenses énormes, telles sont les difficultés à vaincre et souvent encore le succés de ces grandes entreprises est incertain; souvent un accident imprévu endommage, détruit même la digue avant son entiére exécution.
ces vérités sont consacrées par une longue expérience des ports et les fausses applications qu'on en a faites, ont presque toujours entrainé de funestes résultats.
le second moyen doit être également rejetté, des carcasses mal appuyées, rongées par la mer, écrasées par leur propre poids, s'ouvriroient bientôt et abandonneroient au gré des flots le lest pierreux qui servoit à les maintenir dans leurs situations respectives; on ne peut d'ailleurs compter sur la solidité d'une masse hétérogène, sur la durée d'un édifice qui n'est composé que de parties destructibles et isolées; on objectera sans doute que cette destruction des carcasses, pourroit être prévenue par un enrochement extérieur en gros blocs auquel elles serviroient de noyaux ou de points d'appui, mais il est évident qu'un tel arrangement entraineroit plus de dépenses qu'une digue en pierres sèches, sans en avoir les avantages; les carcasses, pour remplir le but auquel on destine ici, devroient être de nature à résister longtems à l'action corrosive de l'eau de mer et à conserver leurs liaisons; elles doivent donc jouir encore d'une portion considérable de leur valeur primitive; or cette valeur présente un excedent qu'on peut éviter en adoptant le troisième moyen.
Je pense donc et mon opinion est fondée sur les expériences dans lesquelles l'art est parvenu à égaler les grands effets de la nature; je pense qu'une jettée exécutée en pierres d'un volume considérable, offre la construction la plus facile, la plus économique de main d'oeuvre, et surtout la moins dispendieuse; c'est la seule praticable dans des contrées ou le tableau de l'industrie ne comprend encore qu'un petit nombre d'essais.
les principaux avantages de cette construction, consistent en ce qu'elle peut être exécutée successivement et dans tous les tems, qu'elle n'exige que des apparaux simples et faciles à manoeuvrer, qu'elle peut être rechargée dans la proportion des tassemens qu'elle éprouve, qu'à la longue les pierres qui la composent sont unies par des végétations marines, par des dépôts calcaires qui remplissent leurs interstices, qu'elle devient enfin une masse inébranlable, un écueil susceptible de braver à jamais les efforts de la mer et d'attester la puissance créatrice de l'homme.

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à ce perfectionnement essentiel, j'enjoindrai un autre non moins important qui auroît pour objet de donner au port un aspect régulier, une disposition uniforme qui puisse faciliter les mouvemens intérieurs et diminuer les frais qu'ils occasionnent.
j'ai représenté dans le plan ci joint la direction nouvelle des quais et par suite les déblais et remblais qu'il seroit convenable d'opérer pour réaliser cet ensemble.
il seroit essentiel de réserver pour l'utilité publique, le quai du fond du port dont la largeur est de 140 pieds, d'y bâtir des hangars, qui puissent servir de bazards; toute construction particulière devroit en conséquence y être interdite.
il seroit également convenable de bâtir simmétriquement autour du port, à une distance d'environ 60 pieds comptée à partir de la crête des quais (la hauteur des quais au dessus du niveau de la mer peut être fixée à 18 pouces), de donner au pavé une pente règlée de 4 à 5 lignes par pied sur la mer, et d'y sceller pour l'amarrage des batimens, des canons, ou des grues hors de service, à la distance de 320 pieds les uns des autres.
des corps morts flottants de forme cilindrique de 5 à 6 pieds de diamétre, sur 2 ou 3 pieds de puissance, composés de madriers de sap, croisés, mailletés à l'extérieur, fixés par des chaines de fer sur des ancres à patte simple, et placés à environ 320 pieds les uns des autres, ainsi qu'on le voit dans le plan ci joint, serviront à l'amarrage des batimens du côté du large; d'après la disposition projettée, chacun de ces corps morts pourra servir à la fois pour 4 batimens, ils devront être opposés à ceux des quais qui rempliront du côté de terre la même fonction.
on devra apporter le plus grand soin à maintenir l'arrangement indiqué, parcequ'il est de nature à prévenir tous les accidens qui naissent ordinairement du désordre, parcequ'il est économique d'espace, parceque chaque batiment peut exécuter les mouvemens qui lui sont propres sans gêne pour le service du port et sans déplacement, parcequ'enfin l'ordre, la sureté générale, la facilité des opérations maritimes et la beauté du coup d'oeil en sont les conséquences nécessaires.
tout batimens qui aurait à charger ou à décharger une cargaison ou qui voudrait faire un long séjour dans le port, devrait être astreint à occuper dans le grand rang, la place qui lui serait assignée par le capitaine de port, et à s'établir sur deux ammarres au moins dans la belle saison.
durant l'hivernage, les batimens frapperaient 4 amarres dont deux à terre et deux au large de manière à ne prendre aucun mouvement.
le plan indique la situation respective des batimens, la distance à la quelle ils doivent être des quais ou de la jettée et enfin la distance des corps morts flottans.
le bassin que circonscrit le grand rang sera spécialement réservé pour les batimens nouvellement arrivés et qui n'ont point encore entamé leurs négociations, ainsi que pour ceux qui préparent leur appareillage; en exigeant toutefois que ces batimens employent des moyens suffisans pour se maintenir au mouillage.
je crois devoir ici faire mention de la profondeur actuelle du port

et des moyens de l'augmenter de manière à le rendre accessible à tous les batimens de commerce.
monsieur le baron de Stackelberg, qui par de nombreuses et utiles créations s'est rendu cher à la colonie, a conçu depuis quelques années le projet d'ajouter à la profondeur du port; pour y parvenir, il a fait une machine à curer qui est capable d'extraire du fond du port, en un jour moyen, 7 ou 8 toises cubes de matière; cette machine travaillant continuellement pendant un an, peut augmenter de 7 pouces la profondeur moyenne du port (6 pieds), sur une étendue superficielle de vingt mille toises carrées, de sorte que dans l'espace de 7 ans, cette profondeur pourroit être portée à 10 pieds, qui est suffisante pour les besoins de service. (a)
je me suis assuré de la possibilité d'obtenir sans difficulté ce surcroit de profondeur; il est essentiel de creuser uniformément le fond du port et de taluter fortement le revêtement extérieur des quais.
on a pensé qu'il seroit peut être utile de ne point curer vers l'extrémité intérieur du port et d'y laisser une plage molle sur laquelle les batimens menacés du naufrage viendroient s'échouer pour éviter leur totale destruction; mais cette précaution deviendra entiérement inutile, si la colonie se détermine à construire la jettée qui doit garantir le port de gustavia de la violence des vagues; cette partie de l'ensemble doit être traitée de la même maniére que les autres.
le carénage dont j'ai fait connaître la position dans le plan, doit attenir à un chantier de marine propre aux réparations, il doit être pourvu de cabestans, de corps mors et généralement de tous les apparaux qu'exige l'importante opération de l'abattage des batimens.
la tête de la jettée pourra par la suite servir de support à un phare susceptible d'éclairer, au loin, la navigation et de tracer la route du port; mais on ne devra s'occuper de cette construction, que quand la digue n'éprouvera plus de tassement sensible; en attendant on pourra y établir un lazaret ou un poste de sureté.
je terminerai par quelques vues sur les moyens de prévenir la disette d'eaux pluviales qu'éprouve quelquefois la colonie et d'établir une aiguade pour le navires de commerce.
monsieur le baron de Stackelberg dont l'imagination active est sans cesse occupée d'utilité publique, a fait creuser des puits spécialement destinés pour la classe indigente; mais l'eau qu'on en tire, légérement saumatre, ne peut être appropriée à la consommation des batimens de mer.
je pense qu'il seroit possible d'établir à la base commune de quelques mornes contournés circulairement, un glacis en maçonnerie, propre à recevoir sur une grosse étendue les eaux du ciel qu'un bassin recouvert tiendroit en dépôt; et qu'il seroit également possible d'y receuillir celles qui s'écouleraient sur les flancs de ces mornes par des rigoles qui viendraient s'aboucher au bassin.
la colonie seroit bientôt indemnisée par la vente de ces eaux, des dépenses qu'elle auroit faites pour l'exécution d'une telle entreprise.

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indications et données relatives au projet présenté

l'expérience a prouvé que les blocs de pierre vive et dure de 25 à 30 pieds cubes, du poids de 3 à 4 mille livres, sont susceptibles de résister aux plus violentes secousses de la mer, sans prendre aucun mouvement; cette fixation doit être rigoureusement appliquée à la digue projettée.
les blocs doivent être de nature à ne pas se déliter facilement, à n'être pas attaqués par l'eau de mer, et à jouir d'une pesanteur spécifique considérable, trois conditions essentielles qui constituent l'inaltérabilité des constructions hydrauliques.
le morne qui couronne la batterie gustave trois et auquel la digue doit s'appuyer offre une excellente carrière de pierres qu'on peut exploiter sans frais considérables.
ces pierres dont la pesanteur spécifique est de 178 livres le pied cube, sont volcaniques et n'affectent aucune disposition régulière; leurs couches font avec l'horizon un angle considérable; elles ne sont ni cassantes ni friables; leur grain fin et serré est de couleur grisâtre tachetée de jaune, elles paroissent de nature à être difficilement altérés par l'eau de mer.
la situation de cette précieuse carrière, la rend très propre à la construction de la digue, et la quantité de blocs qu'on peut en extraire, surpasse de beaucoup les besoins du projet.
pour transporter ces blocs, il est indispensable de construire ou d'acheter des gabarres ou bateaux plats de 40 à 45 pieds de longueur sur 18 à 20 pieds de large, au nombre de 3 ou 4; ces gabarres solidement pontées porteroient à chaque voyage 5 ou 6 blocs; chacune d'elles seroit armée de 4 grands avirons et remorquée jusqu'au lieu désigné pour le coulage.

un embarcadaire serait établi sur la chaussée dite du public, de manière à ce que les blocs placés sur des traineaux bas et solides puissent rouler aisément sur un talus réglé et non interrompu, et parvenir ainsi jusqu'au bord de mer; là, un petit volant appuyé d'un côté sur la crête de l'embarcadaire et de l'autre sur le batiment, donneroit la faculté de les embarquer en n'employant qu'une simple force de traction.
les pierrailles, la terre végétale, en un mot tous les déblais qui résulteront de l'exploitation de la carrière, pourront être employés à remblayer la partie de l'anse du public postérieur à la digue, ainsi que l'étang salé, et par la suite la ville pourra choisir cet emplacement pour en faire une promenade publique.
la digue projettée devra avoir au moins 60 pieds de largeur à sa base et 12 à son sommet, elle devra s'élever au dessus du niveau de la mer de 2 à 3 pieds; on pourra augmenter successivement son volume et porter sa base jusqu'à 80 ou 100 pieds, qu'on peut considérer comme le point de perfection ou d'extrème solidité de cet ouvrage.
calculé sur 72 pieds de base, son volume est de 9450 toises cubes, dont il faut retrancher environ ¼ pour tenir compte des vides des et des interstices que laissent entre eux les blocs, ce qui donne pour le volume réel, ou pour la masse à immerger 7088 toises cubes. (b)
je pense qu'il est nécessaire de construire la digue successivement et par portions de 40 à 50 toises de longueur, en partant du public, et d'élever chaque tranche à sa hauteur avant de commencer la suivante.

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détails estimatifs.

pour apprécier la dépense à la quelle doit s'élever la construction de la digue, je vais essayer à calculer celle de chaque mine relativement à son produit utile.
j'estime qu'une mine bien dirigée et chargée d'une livre et demi de poudre, peut détacher de la carrière deux blocs de la dimension requise pour l'exécusion de la jettée. j'estime en outre que 8 manoeuvres, dans l'espace de 4 heures, chargeront à l'aide d'un appareil les deux blocs sur des traineaux construits ad hoc, conduiront les traineaux jusqu'au bord de l'embarcadaire et embarqueront les blocs; cela posé, je vais exprimer les détails du prix élémentaire.
pour jour le trou de la mine, la charger et la faire sauter, ci : 1 gourde 2 escalins
pour valeur d'une et demi de poudre, à une ½ gourde la livre, ci 9 escalins
pour le transport des déblais de la carriére jusqu'au lieu indiqué, ci 5 escalins
pour le halage à terre et l'embarquement des blocs, ci 2 gourdes
pour le transport par mer et le coulage, ci 7 escalins
pour frais de construction des gabarres (estimées, chacune, à 2000 gourdes) ci 2 escalins
pour entretien et réparation de ces batimens, ci 9 sols
pour entretien et d'outils et d'ustensiles, ci 1escalin 6 sols

pour frais de surveillance ci, 4 escalins
total 5 gourdes 7 escalins
il résulte de ce calcul approximatif que 60 pieds cubes de pierre, en deux blocs, pourront être exploités, transportés et coulés dans l'emplacement de la digue pour la somme de cinq gourdes sept escalins, ce qui porte le prix de la toise cube à vingt gourdes; si l'on évolue d'après cette base, la valeur des 7088 cubes qui composent le volume total de la digue, on trouvera la somme de 141 760 gourdes.
à quoy il faut ajouter un dixième, pour bénéfice d'entreprise, risques et périls &, ci 14 176 gourdes.
total général 155 936 gourdes.
50 à 60 ouvriers assortis et munis de tous les ustensiles et apparaux nécessaires aux travaux qui sont l'objet de cette entreprise et assidument surveillés par deux ou trois conducteurs intelligens, suffisent pour exécuter complettement la digue, dans l'espace de deux ans ou deux ans et demi au plus.
puissent les vues présentées dans ce mémoire, mériter le suffrage de monsieur le baron de Stackelberg et se rattacher à ses utiles et sages conceptions ! puissé-je contribuer à la prospérité de cette isle et au bonheur de ses habitans !

Saint Barthélemy le 6 décembre 1815.
l'ingénieur de marine
Jobert

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additions sur les moyens de parvenir aisément au mouillage quand la digue sera complettement achevée.

tout batiment venant du sud est avec vent arrière ou vent largue, pourra ranger la côte, et prendre bon mouillage en dedans de la jettée sur le même bord; si le navire est d'un tonnage considérable, il devra serrer de près le morne gustave adolphe pour éviter le bas fond qui se trouve entre ce morne et les saintes (il serait peut être utile de baliser ce banc); si le vent est contraire, il devra s'élever au large des saintes, pour entrer vent largue par la passe comprise entre les saintes et les ilettes.
les batimens venant du nord ouest avec vent arriére ou vent largue, pourront arriver au mouillage en courant au dedans de la rade sur le morne gustave adolphe et virant de bord sous le morne; si le vent est debout, ils s'éléveront au large des ilettes et changeront de bord pour entrer vent largue.
enfin tout batimens venant du sud ouest avec vent arriére ou vent largue, prendra son mouillage par la passe du centre, s'il a vent contraire, il pourra courir des bordées dans cette passe ou serra la côte pour entrer par le sud est vent largue.
on voit d'après cela que les batimens pourront toujours entrer à la voile dans le port.


sur l'impossibilité de restreindre la dépense portée dans le devis ci joint, soit en transportant la digue vers l'intérieur du port, soit en diminuant seulement sa courbure.

en renonçant au précieux avantage d'utiliser les Saintes comme contre digue ou comme défense essentielle à l'entrée du port et en se bornant à enceindre une moindre étendue, on serait contraint d'exécuter deux digues croisées, appuyées l'une au morne gustave adolphe et l'autre à la chaussée du public; ces deux digues devraient se rapprocher de manière à ne laisser qu'une passe fort étroite pour prévenir l'accession des lames dans le port.

par une telle disposition, non seulement on diminuerait l'étendue superficielle du port au point de priver cette colonie de la faculté de recevoir tous les batimens qui viendraient dans la mauvaise saison lui demander asyle, mais on se mettrait dans la nécessité de n'entrer dans le port qu'à sec de voiles et en hâlant sur des touées dans une passe étroite et contournée, manoeuvre incommode autant que difficile; ce n'est pas tout, pour rendre les deux digues peu encombrantes et donner à leurs revêtemens extérieurs la roideur qui leur serait nécessaire, il serait presque indispensable de les exécuter en maçonnerie; or on sait que ce moyen entraine toujours de grandes dépenses et de grandes difficultés.
on me demandra enfin, s'il ne serait pas possible de diminuer la dépense, en diminuant la courbure et par suite la longueur de la digue projettée; la simple inspection du plan, démontre qu'on perdrait par une augmentation de profondeur, ce qu'on gagnerait en réduisant la longueur de l'ouvrage; en sorte que sans avantage du côté de la dépense, on diminuerait la capacité du port et la solidité de la digue, deux considérations de la plus grande importance.

sur l'utilité de la barre de contredigue formée par les Saintes.

cette contredigue n'étant pas continue, ne paroitra peut être pas de nature à rompre les vagues du large et à maintenir le calme dans la passe, mais toute crainte à cet égard doit se dissiper, si l'on réfléchit que le choc des lames n'est redoutable que quand il se fait directement et que le mouvement latéral qui en résulte n'a jamais d'effet bien sensible; que le choc direct est d'autant plus intense qu'il est exercé sur une plus grande profondeur et que la lame a la faculté de se développer sur une plus grande étendue.
les trois rochers des Saintes sont trois puissans obstacles, très propres à défendre la passe contre la violence des vagues du large; par la suite ils pourront être unis et prolongés dans le nord ouest par des enrochemens.

(a) les machines à curer ordinairement employées en europe, sont surveillées par un patron et mises en action par 9 matelots dont la force mécanique est appliquée à une grande roue à tambour, elles extraient, en un jour moyen, 5 toises cubes de matière sur 8 à 10 pieds de profondeur sous l'eau.
la machine à curer de Saint-Barthélemy mue par deux chevaux dont la force mécanique équivaut à celle de 12 hommes environ, surveillée par un patron et servie par 5 nègres, en un jour moyen et sur 8 à 10 p de profondeur, pourroit extraire environ 7 toises cubes de matière, si elle faisoit usage à la fois de ses deux deux bateaux à vase; son produit comparé à la force dépensée est un peu moindre que celui des machines d'europe, mais on peut l'augmenter et même le porter au dela de ce dernier, en réduisant la surveillance au strict nécessaire, et en appliquant la force musculaire des chevaux d'une manière plus avantageuse.

(b) si l'on applique le même calcul aux deux digues qui constituent le premier sistéme, on trouvera que la somme de leurs volumes respectifs s'éleve à 92169 toises cubes, résultat 13 ou 14 fois plus considérable que celui qu'on a trouvé précédemment.

Source : S:t Barthélemy Samlingen Vol. 4A (Riksarkivet, Stockholm - Suède)
Nota Bene : plan = non retrouvé à ce jour / un seul et même plan ? / disparu... ?